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Loi sur la sécurité publique : extension de l’anonymat des enquêteurs

Pénal - Procédure pénale, Informations professionnelles
07/03/2017
La loi sur la sécurité publique du 28 février 2017 permet de protéger l’identité des enquêteurs, en les identifiant, dans les actes de la procédure, notamment par un numéro d’immatriculation administrative. Le point sur ces nouvelles dispositions.
La loi du 28 février 2017 (L. n° 2017-258, 28 févr. 2017, JO 1er mars, art. 3) a créé un article 15-4 au sein du Code de procédure pénale, qui permet notamment de ne pas divulguer l’identité des policiers, gendarmes, douaniers (C. pr. pén., art. 28-1 et C. douanes, art. 55 bis) et agents des services fiscaux (C. pr. pén., art. 28-2) dans les actes de la procédure : l’enquêteur est identifié par un numéro d’immatriculation administrative, sa qualité et son service de rattachement.

Rappelons que jusqu’alors, la principale mesure de protection des enquêteurs réside à l’article 62-1 du Code de procédure pénale, qui leur permet de déclarer comme domicile, l'adresse du siège du service dont ils dépendent. L’anonymat n’était possible que dans le cadre des procédures dérogatoires en matière de terrorisme, sur autorisation du procureur général de la Cour d’appel de Paris (C. pr. pén., art. 706-24).

Conditions. — Deux conditions sont nécessaires à l’anonymat :
  • sur le fond : le risque que la révélation de l’identité de l’enquêteur, « compte tenu des conditions d’exercice de sa mission ou de la nature des faits qu’il est habituellement amené à constater, de mettre en danger sa vie ou son intégrité physique ou celle de ses proches » ;
  • sur la forme : une autorisation délivrée nominativement par un responsable hiérarchique « de niveau suffisant », défini par décret, statuant par décision motivée et dont une copie doit être transmise au procureur de la République territorialement compétent.
La nature administrative de cette autorisation et l’imprécision des critères a suscité des réserves de la part tant du Défenseur des droits (avis n° 17-02, 24 janv. 2017), que de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH, avis, 23 févr. 2017) ; le Conseil d’État, quant à lui rappelait notamment l’exigence d’un « niveau hiérarchique élevé » (CE, avis, n° 392480, 15 déc. 2016).
 
Champ d’application. — La mesure de protection peut être autorisée :
  • dans tous les actes des procédures portant sur un crime ou relative à un délit passible d’au moins trois ans d’emprisonnement ;
  • dans les procédures délictuelles faisant encourir moins de trois ans d’emprisonnement, au regard des « circonstances particulières dans la commission des faits ou de la personnalité des personnes mises en cause ».
L’anonymat concerne les actes de la procédure, les dépositions et comparutions comme témoin (pendant l’enquête, l’instruction et lors du jugement), ainsi que les constitutions de partie civile. L’article 15-4, I, alinéa 4 du Code de procédure pénale vise également tous les procès-verbaux, citations, convocations, ordonnances, jugements ou arrêts et indique qu’il ne peut pas être fait état des nom et prénoms au cours des audiences publiques.
 
Exclusion. — La protection de l’identité n’a pas vocation à jouer si l’enquêteur est mis en cause pour un acte accompli dans l’exercice de ses fonctions (l'article 15-4, I, al. 5 du Code de procédure pénale vise l’audition libre du suspect (C. pr. pén., art. 61-1), la garde-à-vue (C. pr. pén., art. 62-2) et les « poursuites pénales »).
 
Droits de la défense. — Comme le relevait notamment le Conseil d’État (avis précité), « l’occultation du nom et du prénom de l’auteur d’un acte de procédure susceptible de constituer un élément de preuve dans le cadre d’une procédure pénale appelle des garanties particulières visant à assurer le respect effectif des droits de la défense ».

À fins de préservation du principe du contradictoire, la loi a prévu la possibilité pour les parties à la procédure, de former une requête en communication des nom et prénom de l’enquêteur, devant le juge d’instruction ou la juridiction de jugement. Le juge apprécie les suites à apporter à la demande, après avis du parquet. L’article 15-4, III, al. 2 du Code de procédure pénale prévoit qu’il incombe alors au magistrat de mettre en balance la menace constituée par la révélation et la préservation de l’exercice des droits de la défense. Cette même appréciation est faite par le procureur de la République lorsqu’il est saisi d’une demande de consultation du dossier en application de l’article 77-2 du Code de procédure pénale.

Lorsque l’annulation d’un acte de procédure est demandée (nullité textuelle ou substantielle), dont l’appréciation suppose la levée de l’anonymat, le juge d’instruction, le président de la chambre de l’instruction ou de la juridiction de jugement doit statuer sans verser ces éléments au débat contradictoire, ni mentionner l’identité de l’enquêteur protégé.

On observera néanmoins, à la suite du Défenseur des droits (avis précité), qu’en comparaison du dispositif applicable dans le cadre de la protection des témoins (C. pr. pén., art. 706-57 et s.), aucune procédure de confrontation respectant l’anonymat de l’enquêteur n’a été prévue (comp. C. pr. pén., art. 706-61), pas plus qu’un rappel du principe selon lequel aucune condamnation ne peut être exclusivement fondée sur des déclarations anonymes (comp. C. pr. pén., art. 706-62). Là où la CNCDH (avis précité) considérait que « le dispositif ne satisfait pas aux exigences des droits de la défense et du contradictoire », le Conseil d’État (avis précité) estimait que « la mesure proposée par le Gouvernement [procédait] à une conciliation qui n’est pas déséquilibrée entre le droit à la sécurité des enquêteurs et les droits de la défense des personnes mises en cause ».
 
Sanction de la révélation de l’identité. — En dehors de la levée judiciaire de l’anonymat, la révélation des nom et prénoms de l’enquêteur protégé ou de tout élément permettant son identification personnelle ou sa localisation est passible de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende (C. pr. pén., art. 15-4, V). Les peines sont aggravées en fonction du résultat de la révélation : s’il en est résulté des violences contre l’enquêteur ou ses proches (conjoint, enfants et ascendants directs), les peines sont portées à sept ans et 100 000 euros ; en cas de décès, les peines encourues sont de dix ans et 150 000 euros, sans préjudice de celles applicables aux atteintes à la vie (C. pén., art. 221-1 et s.).
 
Source : Actualités du droit