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Le suicide de l’assuré est-il constitutif d’une faute dolosive excluant la couverture assurancielle ?

Affaires - Assurance
03/02/2022
Dans un arrêt du 20 janvier 2022, la Deuxième chambre civile conforte sa position sur l’autonomie de la faute dolosive tout en confirmant qu’une clause d'exclusion ne peut être tenue pour formelle et limitée dès lors qu'elle doit être interprétée.
Faits et solution

En l’espèce, une personne met fin à ses jours en se positionnant sur une voie de chemin de fer à un passage à niveau.

Arguant des dommages matériels et immatériels subis, la SNCF assigne l'assureur du défunt en indemnisation qui invoque en sa défense, d'une part, la commission par l'assurée d'une faute dolosive et, d'autre part, l'application d'une clause d'exclusion de garantie stipulée au contrat d'assurance.

En ce qui concerne la qualification de la faute de l’assuré, la Cour d’appel de Douai relève que le choix délibéré de la victime d'attenter à ses jours « en se faisant heurter par un train au passage à niveau avait eu pour effet de rendre inéluctable la réalisation du dommage […] et de faire disparaître l'aléa attaché à la couverture du risque par la police » est constitutif une faute dolosive.

En outre, pour déclarer valable la clause d’exclusion de garantie, la cour d’appel constate que « l'absence de définition contractuelle de la cause ou de la provocation n'exclue pas la bonne compréhension de la volonté de l'assureur d'exclure les dommages résultant d'un fait volontaire de l'assuré ».

L’arrêt est cassé sur ces deux points. Par une formule déjà classique, les Hauts magistrats rappellent d’abord qu’une « clause d'exclusion ne peut être tenue pour formelle et limitée dès lors qu'elle doit être interprétée », interprétation à laquelle s’est livrée la cour d’appel en l’espèce. Ensuite et en suivant une jurisprudence déjà bien établie, ils précisent que « la faute dolosive s'entend d'un acte délibéré de l'assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables ».

Éléments d’analyse

Par un arrêt du 20 mai 2020, la Deuxième chambre civile a clairement distingué la faute intentionnelle de la faute dolosive, en consacrant l’autonomie de cette dernière (Cass. 2e civ., 20 mai 2020, n° 19-11.538). La faute dolosive serait celle qui « s'entend d'un acte délibéré de l'assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables » tandis que la faute intentionnelle se caractérise par la recherche de la réalisation du sinistre, une intention de créer le dommage tel qu’il s’est réalisé. Cette solution ne s’est pas imposé avec évidence et le chemin vers l’autonomie de la faute dolosive fut long (v. Le Lamy Assurances 2022, n° 212).

Or, précisément, l'intention de l'assuré de mettre fin à ses jours est-elle constitutive d’une faute dolosive ? Une espèce aux faits quasi-identiques permet d’apporter une réponse à cette interrogation (Cass. 2e civ., 20 mai 2020, n° 19-14.306). Dans cette affaire, où l'assuré s'était suicidé en se jetant sous un train, la Cour de cassation énonce « que rien ne permettait de conclure qu'il [l’assuré] avait conscience des conséquences dommageables de son acte pour la SNCF, ce dont il se déduisait que l'assurance n'avait pas perdu tout caractère aléatoire et rien ne permettait de conclure qu'il avait conscience des conséquences dommageables de son acte pour la SNCF ». En d’autres termes, l’assuré n’avait pas la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables car le dommage inéluctable est « celui que la faute rend certain, même pour l'assuré, sans toutefois que celui-ci puisse déterminer sa réalité définitive », une condition qui n’était pas remplie (RD bancaire et fin. 2021, comm. 126). En revanche, lorsqu’une personne se suicide en installant une cuisinière à gaz et deux bouteilles de gaz dans la pièce où elle se trouve, elle a bien conscience du caractère inévitable des dommages que l’explosion va causer à l’immeuble, ce qui justifie la qualification de la faute dolosive (Cass. 2e civ., 20 mai 2020, n° 19-11.538 précité).

Enfin, en ce qui concerne le caractère formel et limité d’une clause d’exclusion, la Cour rappelle que celui-ci n’est pas rempli dès lors que la clause doit être interprétée (entre autres : Cass. 2e civ., 8 oct. 2009, n° 08-19.646 ; Cass. 3e civ., 27 oct. 2016, n° 15-23.841 ; Cass. 2e civ., 26 nov. 2020, n° 19-16.435).
Source : Actualités du droit